Qui est Ézéchiel Nibigira le nouveau president.

  • novembre 4, 2025
  • Sevy Akongo
  • 12 min read


Ézéchiel Nibigira, le nouveau président de la CEEAC

Né en 1975 à Gishingano (Burundi), Ézéchiel Nibigira est un cadre formé en gestion et finance. Titulaire d’un doctorat en administration des affaires et finances, il a également suivi des études supérieures à Hope Africa University.  ll aurait également un Master en Business Administration, centré sur la finance et la comptabilité. Son profil combine formation académique et longue expérience dans l’appareil administratif et diplomatique burundais. 

Sur le plan professionnel, Nibigira a occupé plusieurs postes clés : chef des services douaniers et du commerce extérieur, ambassadeur du Burundi au Kenya, ministre des Affaires étrangères (2018–2020) puis ministre chargé des Affaires de la Communauté d’Afrique de l’Est, de la Jeunesse, des Sports et de la Culture (2020–2023). Il siège par ailleurs comme député sous la bannière du CNDD-FDD, le parti au pouvoir au Burundi. Ces fonctions lui ont donné une double expérience — nationale et multilatérale — utile pour présider une organisation régionale. 

Un profil consensuel pour un mandat délicat

Sa désignation est présentée par les sommets comme un choix consensuel, adopté par les chefs d’État de la région pour succéder à l’Angolais Gilberto Veríssimo. Des sources officielles et la presse spécialisée saluent la capacité de Nibigira à naviguer entre diplomatie bilatérale et gestion institutionnelle, atouts indispensables pour piloter la CEEAC alors que la sous-région fait face à des défis sécuritaires et institutionnels (tensions dans l’Est de la RDC, retrait de certains États et nécessité de relancer des mécanismes de coopération). 

L’un des premiers chantiers dont Nibigira héritera est la finalisation de la composition de la Commission : selon des comptes rendus récents, il aurait reçu un mandat temporaire et une période de quelques semaines pour achever le processus de sélection des postes restants et remettre la structure exécutive sur pied. Cette feuille de route administrative et politique est cruciale pour redonner de la crédibilité et de l’efficacité à l’institution.

Un homme polyvalent : administration, diplomatie, politique, finance — un profil rare et précieux 

Parmi ses forces, il lui est reconnu une carrière polyvalente (administration des recettes, représentation diplomatique, portefeuille ministériel consacré à l’intégration régionale), et une bonne connaissance des dossiers économiques et financiers — atouts utiles pour impulser la coopération commerciale et la gouvernance financière au sein de la CEEAC. Sa maîtrise des dossiers liés à la jeunesse et au sport peut aussi nourrir des approches transversales visant à renforcer la cohésion sociale régionale. 

Ézéchiel Nibigira incarne ce que les chercheurs de l’Afrique Governance Report (Mo Ibrahim Foundation, 2023) appellent un “leader hybride” : capable de passer du registre technique au politique sans perdre en crédibilité. Son parcours — douanier, ambassadeur, ministre des Affaires étrangères, puis des Affaires régionales — lui confère une compréhension systémique des leviers de l’intégration. Comme le note un article du Brookings Institution (2024), “les institutions régionales africaines réussissent mieux lorsqu’elles sont pilotées par des dirigeants ayant une expérience transversale, combinant technicité et sens politique”. Sa formation académique en finance (doctorat et MBA) est un atout majeur dans une région où les projets d’infrastructure et les programmes de paix dépendent de mécanismes de financement complexes. 

Ayant servi au sein de la Communauté d’Afrique de l’Est (CAE), Nibigira a acquis une expérience concrète des dynamiques de négociation interétatique en Afrique. Un rapport de l’UNU-CRIS (2023) souligne que “les dirigeants issus d’institutions régionales antérieures réussissent mieux à créer des coalitions et à contourner les blocages bureaucratiques”. Il connaît les codes, les réseaux, les non-dits — ce “savoir-faire institutionnel informel” qui fait souvent la différence entre l’échec et le succès des initiatives régionales. Cette connaissance lui permettra de négocier des compromis entre États aux intérêts divergents — par exemple entre l’Angola, puissance militaire, et le Burundi ou le Tchad, plus préoccupés par la sécurité intérieure. 

Un des échecs récurrents des institutions africaines est le décalage entre les experts techniques et les décideurs politiques. Nibigira, ayant été à la fois haut fonctionnaire et ministre, maîtrise les deux langages. Comme l’explique un article de la revue African Affairs (Oxford, 2024), “les réformes institutionnelles prennent racine lorsque les dirigeants savent traduire les diagnostics techniques en décisions politiques acceptables”. Il pourra ainsi convaincre les chefs d’État de soutenir des réformes impopulaires (ex : mutualisation des budgets de défense) en les présentant comme des victoires stratégiques, tout en rassurant les experts sur la rigueur de leur mise en œuvre. 

Son ministère de la Jeunesse, des Sports et de la Culture au Burundi n’est pas anecdotique. Les Nations Unies, dans leur Agenda 2030 pour la paix (ONU, 2022), insistent sur le rôle du sport et de la culture comme “outils de prévention des conflits et de construction de l’identité régionale”. La CEEAC a lancé en 2021 un “Programme jeunesse pour la paix”, resté lettre morte faute de leadership. Nibigira pourrait lui redonner vie en s’appuyant sur son expérience — par exemple en créant des ligues sportives régionales ou des résidences artistiques transfrontalières. Comme le souligne l’UNESCO dans son rapport “Jeunesse et Cohésion sociale en Afrique centrale” (2023), “les politiques culturelles sont les plus efficaces lorsqu’elles sont pilotées par des décideurs ayant une vision politique du soft power”. 

Un risque de partialité perçue 

Malgré son profil consensuel, Nibigira reste un cadre du CNDD-FDD, parti au pouvoir au Burundi, régulièrement critiqué par les ONG (HRW, Amnesty International) pour ses atteintes aux droits humains. Ce lien pourrait nuire à sa crédibilité, notamment auprès des donateurs internationaux et de la société civile régionale. Un rapport de l’International Crisis Group (2025) met en garde : “Tout dirigeant régional issu d’un régime autoritaire risque d’être perçu comme un relais des intérêts nationaux plutôt que comme un arbitre impartial”. Pour contrer cela, Nibigira devra adopter une posture de neutralité absolue — par exemple en condamnant publiquement toute ingérence burundaise dans les affaires de la CEEAC, ou en nommant des opposants à des postes clés. La transparence de ses décisions sera son meilleur bouclier. 

L’Afrique centrale est dominée par des puissances inégales : l’Angola (militairement influent), la RDC (démographiquement et économiquement dominante), le Congo-Brazzaville (siège historique de la CEEAC). Ces États ont souvent imposé leurs candidats ou bloqué des réformes contraires à leurs intérêts. Comme le note un think tank gabonais, l’Observatoire des Institutions Régionales (2024), “la CEEAC est devenue une arène de rivalités entre capitales, où les petits États sont marginalisés”. Nibigira devra user de diplomatie agile — alliances tactiques, appui de l’UA, mobilisation des petits États — pour résister aux pressions. Son atout : n’être ni angolais, ni congolais, ni gabonais. Son défi : ne pas se laisser instrumentaliser par les puissants. Si Nibigira parvient à surmonter ces défis initiaux, plusieurs axes pourraient structurer son action 

La sécurité reste la priorité absolue. Selon le rapport annuel de l’ISS Africa (2025), “les groupes armés dans l’est de la RDC et le nord du Cameroun coûtent à la région plus de 3 milliards USD par an en pertes économiques et humanitaires”. Nibigira devra revitaliser la Force Multinationale de la CEEAC (FOMAC), aujourd’hui sous-équipée et mal coordonnée. Il pourrait s’inspirer du modèle de la Force Conjointe du G5 Sahel (malgré ses limites) ou de la mission régionale en Afrique de l’Est (EACRF) en RDC. Un accord de partage du renseignement et de commandement unifié, soutenu par l’ONU et l’UE, serait un premier pas décisif. 

La CEEAC fonctionne avec un budget de moins de 50 millions USD par an, largement insuffisant (Banque mondiale, 2024). Nibigira devrait proposer la création d’un Fonds Régional de Développement de l’Afrique Centrale (FRDAC), alimenté par des contributions proportionnelles au PIB, des taxes sur les exportations stratégiques (bois, minerais) et des partenariats avec la BAD ou l’Union européenne. Le modèle du Fonds de Développement de la CEDEAO (FODEC) pourrait servir de référence. Une rationalisation des contributions — avec sanctions pour les États défaillants — est indispensable pour assurer la pérennité financière de l’institution. 

S’inspirant du programme “Erasmus + Afrique” de l’UE, Nibigira pourrait lancer “CEEAC Campus” — un réseau d’universités partenaires offrant des bourses pour études transfrontalières. Comme le recommande l’UNESCO (2023), “la mobilité étudiante est le meilleur investissement pour construire une conscience régionale”. Couplé à des Jeux de la Jeunesse de la CEEAC (tous les 2 ans), et à un Fonds Régional pour les Industries Culturelles, cela créerait un sentiment d’appartenance partagée — antidote aux nationalismes exacerbés. 

La CEEAC est souvent perçue comme une “boîte noire”. Nibigira devrait instituer un Forum Permanent de la Société Civile de la CEEAC, avec droit de consultation sur les grands projets, à l’image du Conseil Économique, Social et Culturel de l’UE. Un rapport de l’Afrobarometer (2024) montre que “78% des citoyens d’Afrique centrale ignorent l’existence ou les actions de la CEEAC”. La transparence et la participation citoyenne sont des leviers de légitimité indispensables. 

L’objectif ultime est la mise en œuvre effective de la Zone de Libre-Échange Continentale Africaine (ZLECAf). Mais les blocs régionaux agissent encore en silos. Nibigira, ayant servi à la CAE, est idéalement placé pour négocier des corridors douaniers intégrés (ex : Dar es Salaam-Lagos via Bangui et Yaoundé) et harmoniser les normes. Comme le propose la Commission Économique pour l’Afrique (CEA-ONU, 2025), “l’avenir de l’intégration africaine passe par la convergence des communautés économiques régionales, pas par leur concurrence”. 

Cependant, son ancrage politique au sein du CNDD-FDD et son passé de ministre sous des gouvernements pas toujours appréciés sur la scène internationale, peuvent susciter des réserves chez certains partenaires et acteurs de la société civile. Dans un contexte où la confiance entre États membres est parfois fragile, l’un des tests majeurs sera sa capacité à conduire une diplomatie inclusive, à neutraliser les suspicions et à promouvoir des réformes institutionnelles transparentes. 

À peine porté à la tête de la CEEAC, Ézéchiel Nibigira se retrouve face à un défi de taille : transformer sa stature politique burundaise en un leadership régional crédible. Figure de proue du CNDD-FDD, le parti au pouvoir au Burundi, il porte avec lui l’ombre des critiques internationales adressées à son parti, souvent jugé autoritaire. Cette réalité pourrait peser sur sa crédibilité auprès des partenaires internationaux — l’Union européenne, l’ONU ou la Banque mondiale — et créer des réticences chez la société civile de la sous-région, attentive à l’indépendance de la Commission.

Au-delà de cette question de perception, Nibigira doit aussi naviguer avec prudence entre les intérêts de son pays et ceux de l’Afrique centrale. La CEEAC exige un arbitre impartial capable de privilégier le bien commun régional, et non des agendas nationaux ou partisans. Chaque décision, qu’il s’agisse de corridors commerciaux ou de missions de sécurité, sera scrutée et comparée à cette norme de neutralité.

Enfin, la pression des États les plus puissants de la région — Angola, Congo, Gabon ou RDC — représente un test supplémentaire. Ces pays disposent de moyens économiques et diplomatiques capables d’influencer les décisions de la Commission. Nibigira devra donc démontrer sa capacité à résister aux ingérences tout en maintenant l’équilibre entre États membres de poids inégal, sous peine de fragiliser l’unité et l’autorité de l’organisation.

Un leadership sous surveillance 

Dans ce contexte, son mandat s’annonce à la fois stratégique et délicat : il ne s’agit pas seulement de piloter la CEEAC, mais de bâtir sa légitimité et de redonner à l’institution sa force d’action et sa crédibilité sur la scène internationale.

Le mandat d’Ézéchiel Nibigira sera jugé sur sa capacité à transformer la CEEAC d’une institution symbolique en une plateforme opérationnelle de paix, de prospérité et d’intégration. Ses lignes de force devront être : la rigueur institutionnelle, la transparence financière, la diplomatie inclusive et l’innovation programmatique. S’il réussit à nommer une équipe compétente, à clarifier les rôles, à instaurer la reddition des comptes, et à lancer des initiatives concrètes dans les domaines sécuritaire, économique et social, il pourrait redonner à la CEEAC la place qu’elle mérite — celle d’un pilier de la gouvernance régionale en Afrique centrale. À l’inverse, tout échec sur ces points risquerait de consacrer le déclin de l’institution. Le pari des chefs d’État est audacieux. L’enjeu, historique.

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